Le Règlement européen sur les successions
Depuis le 17 août 2015, c’est le règlement européen n°650/2012 qui s’applique en France. Le législateur a mis en place un principe unique : désormais, il suffit de déterminer quelle est la dernière résidence habituelle du défunt au moment du décès et d’appliquer la réglementation en matière de succession de cet État.
Dans certains cas, l’identification du lieu de résidence habituelle peut se révéler difficile. Il faut regarder l’ensemble des circonstances de la vie du défunt pouvant révéler un lien étroit et stable avec l’État. Une personne possède une maison en France et en Malaisie où sa femme et ses enfants résident. Il travaille à Singapour et y a acheté un appartement. Il décède. Quelle va être l’État de résidence habituelle du défunt ? L’État où il travaille ou celui où réside sa vie familiale et sociale ? Il n’est pas facile de déterminer quelle loi va être applicable à la succession, car il a des liens avec les deux pays.
De plus, la résidence peut être amenée à changer au cours de la vie.
C’est pourquoi, pour plus de consistance et pour éviter les incertitudes, le règlement européen a prévu la possibilité pour les ressortissants français de désigner par testament leur loi nationale, comme applicable à l’ensemble de leur succession.
Cependant, cette désignation ne lie que les États signataires du règlement européen : c’est-à-dire qu’elle sera reconnue en France, mais pas à Singapour.
Expatriation à Singapour et absence de testament
Si l’on est expatrié à Singapour au moment de son décès, c’est donc la loi singapourienne qui va s’appliquer.
À Singapour, sans testament, la règle de base est la suivante : la moitié de la succession reviendra au conjoint et le reste à parts égales entre les enfants.
S’agissant des immeubles, c’est la loi de situation du bien qui va s’appliquer : pour les immeubles situés en France, le juge singapourien appliquera le droit français, pour les immeubles situés à Singapour, c’est la loi singapourienne qui va s’appliquer.
S’agissant des biens meubles (comptes bancaires, voitures…), la loi applicable dépendra du « domicile » selon le droit singapourien : « The permanent residence of a person; a place to which, even if he or she were temporary absent, they intend to return ».
En cas de décès des deux conjoints, si dans les faits, les autorités singapouriennes se mettent généralement immédiatement en contact avec les autorités consulaires qui prennent toutes les mesures nécessaires pour que les enfants restent avec les amis de la famille pendant cette période transitoire,sans testament et sans rédaction au préalable d’un « Transitional guardianship form » (désignation d’un gardien provisoire), les enfants mineurs seront placés sous la responsabilité du Ministry of Social and Family development dans l’attente d’une décision de justice de désignation des tuteurs légaux.
Planifier sa succession internationale par la mise en place d’un testament
Pour contrer ces incertitudes et fixer les règles, la meilleure solution est d’anticiper et de rédiger un testament afin de planifier de manière coordonnée sa succession entre la France et Singapour.
Le ou les testaments, qu’ils soient rédigés en France et/ou à Singapour devront pouvoir être reconnus dans les deux pays intéressés.
Comme énoncé en introduction, en France, le testament peut être olographe (sous seing privé) ou par acte authentique. Le recours à un professionnel pour sa rédaction est vivement conseillé car cela permettra de s’assurer qu’il pourra s’exécuter, de le conserver et de le faire enregistrer (plus facile à retrouver). On prendra bien soin d’y désigner :
– la loi applicable à la succession (si l’on souhaite désigner sa loi nationale pour ses biens et intérêts en France, en application du règlement européen),
– la répartition du patrimoine entre ses héritiers en tenant compte de la quotité disponible selon la réserve héréditaire (part du patrimoine que la loi française réserve à certains héritiers),
– le ou les tuteurs pour les enfants mineurs,
– d’autres dispositions extrapatrimoniales comme les souhaits concernant les obsèques.
Pour que les dispositions du testament français soient reconnues à Singapour, il conviendra de valider son contenu et sa forme avec un juriste singapourien (les notaires de droit civil tels que nous les connaissons en France n’existent pas à Singapour).
Pour être valable à Singapour, un testament doit :
– être écrit,
– l’auteur du testament doit être majeur (21 ans),
– Il doit être signé par son auteur,
– la signature doit être attestée par au moins deux témoins, qui doivent également signer le testament en sa présence,
– les deux témoins ne peuvent être les bénéficiaires du testament ni les conjoints des bénéficiaires.
À Singapour, on recommande généralement d’inclure dans son testament :
– Une liste des actifs,
– Une liste des passifs, comment les dettes seront remboursées avant que les actifs ne soient distribués aux bénéficiaires,
– Les bénéficiaires et les tuteurs (si les bénéficiaires sont trop jeunes), combien chacun doit recevoir, des bénéficiaires de réserve (c’est-à-dire des remplaçants) en cas de décès simultané,
– Les exécuteurs testamentaires (pour exécuter votre testament), cela peut être un avocat, un comptable. Un bénéficiaire peut également être le liquidateur,
– Une clause résiduelle qui répartit le reste de la succession selon les volontés. Par exemple, si un bénéficiaire décède avant, l’actif qui lui est légué deviendra le reste,
– La désignation de tuteurs pour les enfants mineurs (la majorité légale est de 21 ans à Singapour).
Pour rappel, il sera de plus très important de désigner le tuteur temporaire à Singapour en cas de décès simultané des deux parents, dans un document annexe nommé « Transitionnal guardianship form ».
Un ou deux testaments ?
Dans un contexte national, il est préférable de n’avoir qu’un seul testament. Ainsi, si on le modifie, il convient de révoquer au début du document les anciennes dispositions.
Mais dans un contexte international et au vu des différentes règles de fond et de forme applicables, il est parfois difficile de faire reconnaître un unique testament dans plusieurs pays.
S’il est nécessaire de rédiger deux testaments, l’un en France et l’autre à Singapour, il convient alors de s’assurer que les différentes dispositions sont compatibles et cohérentes. Si elles se contredisent, il sera très difficile de les appliquer.
La conservation du testament
Elle est très importante pour pouvoir retrouver ces dispositions de dernières volontés.
– En France, il est conseillé de faire conserver l’original chez un notaire qui le publiera au registre européen,
– A Singapour, il est conseillé de demander son inscription dans le « Will registry » et il est indispensable de garder un original chez-soi.
Ouverture de la succession à Singapour
Il conviendra d’obtenir le « Grant of Probate » : une ordonnance du tribunal singapourien autorisant « l’executor » (l’exécuteur testamentaire) à répartir les actifs entre les héritiers. Cette démarche peut prendre entre un et quatre mois. Les comptes joints des expatriés peuvent être bloqués pendant cette formalité.
En l’absence de testament, il conviendra d’obtenir les « Letters of Administration » pour permettre à l’« Administrator » de répartir les actifs entre les héritiers. L’« Administrator » est habituellement le conjoint du défunt ou l’un de ses proches parents.
Le testament reste une question de cas par cas, il est recommandé à chaque famille expatriée d’établir un audit de sa situation auprès d’une part, d’un notaire français, et d’autre part, d’un juriste singapourien, afin de rédiger un ou des testaments coordonnés permettant l’application de leurs volontés au moment du décès tant concernant leurs enfants que leurs patrimoines. Cet audit doit être renouvelé à chaque étape de la vie pouvant modifier la situation familiale et patrimoniale.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Elodie Letouche (Let’s International Consulting Pte Ltd, mise en relation et coordination pour les affaires notariales) et Patrick Chang (Simply Wills Pte Ltd, Legal will and trust writers in Singapore), nous les remercions pour leur expertise et leur contribution.